La Commission européenne reproche au géant de l’Internet d’abuser de la position dominante de son système d’exploitation pour smartphone, Android.
La « tax lady », comme la qualifie Trump, a encore frappé. Mercredi 18 juillet, la commissaire à la concurrence européenne, Margrethe Vestager, a conclu une enquête ouverte trois ans plus tôt pour abus de position dominante en condamnant Google et Android, son système d’exploitation pour smartphones, à une amende record de 4,34 milliards d’euros. Mme Vestager a déclaré :
« Google utilise Android comme un véhicule pour consolider la position dominante de son moteur de recherche. Ces pratiques ont privé ses concurrents de la possibilité d’innover et de lui livrer concurrence par leurs mérites. Elles ont privé les consommateurs européens des avantages d’une concurrence effective sur le marché important des appareils mobiles. Cette pratique est illégale au regard des règles de l’UE en matière de pratiques anticoncurrentielles. »
&Par conséquent, « Google doit cesser ses pratiques dans les quatre-vingt-dix jours, sinon elle encourt de nouvelles pénalités », a dit Mme Vestager. Quant au montant de l’amende, inédit, il s’explique par le fait que « les infractions durent depuis 2011, qu’elles sont très graves et que les revenus de Google ont progressé dans l’intervalle », a précisé la commissaire danoise.
Google a immédiatement annoncé dans un communiqué son intention de faire appel de cette décision : « Android a créé davantage de choix pour tout le monde, pas moins. Un écosystème vivant, des innovations incessantes, et des prix plus faibles qui sont des marqueurs classiques d’une concurrence robuste », a répliqué Al Verney, porte-parole de Google.
Amende la plus importante jamais prononcée
L’amende infligée est la plus importante jamais prononcée par Bruxelles dans ce type d’infraction au droit de la concurrence européenne. Le précédent record était déjà détenu par Google, qui a reçu une amende de 2,4 milliards d’euros en juin 2017 pour avoir favorisé son comparateur commercial, Google Shopping, aux dépens d’autres sur son moteur de recherche.
Avant Google, la Commission avait condamné le géant des microprocesseurs Intel à une amende d’un peu plus de 1 milliard d’euros, en 2009, pour avoir entravé le développement de son concurrent AMD. Microsoft a aussi été condamné par trois fois entre 2004 et 2013, avec à la clé des amendes cumulées de 1,9 milliard d’euros.
Actif crucial
Outre le montant record de l’amende, pénalisant même pour une société ultraprofitable (Alphabet, la maison mère de Google, a engrangé un chiffre d’affaires de 110,9 milliards de dollars en 2017 pour 12,7 milliards de profits), la décision concernant Android est un coup dur pour Google, ce système d’exploitation représentant un actif crucial du géant des services en ligne dans le secteur, stratégique, de la mobilité.
Lancé en 2007, Android équipe désormais 80 % des smartphones dans le monde et assure à Google une diffusion inédite de l’ensemble de ses autres services (à commencer par son moteur de recherche et son offre publicitaire). En tout, 2,2 milliards de smartphones tournent aujourd’hui sur Android.
En avril 2016, Mme Vestager avait lancé un acte d’accusation contre Android, soulignant trois types de comportements jugés illégaux. Ces arguments sont restés les mêmes : Google a « exigé des fabricants qu’ils préinstallent l’application Google Search et son navigateur (Chrome) comme condition à l’octroi de la licence pour sa boutique d’applications en ligne (Play Store) », rappelle ainsi le communiqué de presse de la Commission.
Incitations financières
Le groupe a par ailleurs « payé certains grands fabricants et certains grands opérateurs de réseaux mobiles pour qu’ils préinstallent en exclusivité l’application Google Search sur leurs appareils ». Enfin, Google a « empêché les fabricants souhaitant préinstaller les applications Google de vendre ne serait-ce qu’un seul appareil mobile intelligent fonctionnant sur d’autres versions d’Android non approuvées par Google (les “forks Android”) ».
A l’époque, la Commission craignait déjà que ces pratiques n’entravent le développement de moteurs concurrents de Google Search et d’autres systèmes d’exploitation qu’Android.
Google s’est toujours défendu de fausser la concurrence en Europe, arguant que cette dernière reste encore vive, et qu’Android a contribué à baisser significativement le prix des smartphones et à démocratiser un marché aujourd’hui majeur.
Echec de solutions de compromis
Les ennuis pour Google à Bruxelles ont commencé il y a huit ans, avec en 2010 l’ouverture d’une enquête officielle concernant son moteur de recherche. Mais il a fallu l’arrivée de Mme Vestager à Bruxelles, à la fin de 2014, dans la commission Juncker, pour que le géant des services en ligne soit vraiment inquiété. Le prédécesseur de la libérale danoise, l’Espagnol Joaquin Almunia, avait, lui, cherché des solutions de compromis en vain : Google n’a modifié en rien ses pratiques. Le géant californien du Web reste dans le collimateur de la Commission : les services de Mme Vestager enquêtent aussi depuis juillet 2016 sur AdSense, son offre, très profitable, de régie publicitaire.
Cette décision pourrait aggraver les tensions entre Bruxelles et Washington, à une semaine d’une rencontre entre le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, et Donald Trump, placée sous le signe du commerce. L’administration américaine a déjà à plusieurs reprises — y compris sous le mandat de Barack Obama — accusé Bruxelles de s’en prendre spécialement aux géants des technologies californiens pour des raisons protectionnistes. Attitude dont s’est toujours défendue Margrethe Vestager. « J’aime beaucoup les Etats-Unis, je suis danoise. Au Danemark, on aime les Etats-Unis. Mais ici, nous appliquons le droit de la concurrence sans tenir compte du contexte politique », a t-elle de nouveau déclaré mercredi.