Prise de conscience européenne
Le modèle actuel, largement guidé par des considérations économiques, a donc atteint ses limites. Il est temps, pour (les représentants de) la société, de reprendre la main sur l’innovation, les investissements et plus largement la stratégie politique dans le domaine de la santé pour les diriger vers les domaines où ils pourront générer la plus-value la plus importante : ceux où il subsiste d’importants besoins au niveau des patients individuels (par exemple parce qu’il n’existe pas du tout de traitements pour leur maladie) ou au niveau de la société (par exemple parce qu’une maladie continue à toucher un très grand nombre de personnes et a des répercussions majeures en termes de productivité, d’impact sur les aidants proches, etc.).
Heureusement, on assiste aujourd’hui à une réelle prise de conscience au niveau politique, au point que les besoins non rencontrés sont l’un des grands axes du programme de la présidence belge du Conseil de l’Union européenne dans le domaine de la santé.
Un projet de grande envergure
L’initiative NEED (Needs Examination, Evaluation, and Dissemination ou « examen, évaluation et dissémination des besoins ») vise à soutenir cette transition vers une stratégie de santé et d’innovation davantage guidée par les besoins, en créant une infrastructure pour coordonner la recherche sur les besoins non rencontrés. Celle-ci alimentera une base de données européenne accessible à tous, où seront rassemblées des informations scientifiques concernant ces besoins non rencontrés des patients et de la société pour un grand nombre de maladies et problèmes de santé. Elles seront présentées d’une manière permettant d’apprécier facilement quels besoins sont rencontrés ou non et donc d’éclairer les choix des décideurs politiques et des acteurs de la santé.
Les moyens disponibles pour la recherche sur les besoins non rencontrés étant limités il faudra tout d’abord identifier les problèmes de santé pour lesquels ces besoins restent importants (par exemple sur la base d’informations en provenance de sources existantes mais aussi d’appels à propositions) et décider lesquels devraient être priorisés pour faire l’objet de recherches plus approfondies. Ensuite, il sera nécessaire de récolter des données concrètes sur les besoins non rencontrés qui subsistent pour chacun de ces problèmes de santé (à l’aide d’analyses de la littérature scientifique, d’enquêtes, etc.). Ce sont ces informations qui serviront à remplir la base de données.
À quoi va servir la nouvelle étude du KCE et de Sciensano ?
L’outil qui vient d’être développé par le KCE et Sciensano, le « cadre d’évaluation des besoins non rencontrés », est une sorte de canevas qui doit permettre de collecter les données nécessaires d’une manière scientifique, structurée et harmonisée. Pour donner une image la plus complète possible des besoins non rencontrés associés à une maladie donnée, l’équipe de recherche a identifié 23 critères, mesurés au moyen d’un ou plusieurs indicateurs (voir ci-dessous pour quelques exemples). Pour chaque indicateur, le cadre mentionne aussi quelles sont les sources d’information les plus appropriées : la littérature scientifique, l’avis d’experts, des enquêtes ou des entretiens individuels avec des patients…
Il est important de souligner que ces critères et indicateurs recouvrent les besoins des patients, mais aussi ceux de la société et enfin les besoins que l’on peut anticiper pour le futur. Ils visent aussi très large, puisqu’ils s’intéressent aux répercussions à la fois directes et indirectes de la maladie au travers de son impact sur la santé individuelle et collective, des besoins de soins et services de santé qu’elle engendre et de ses implications sociales (comme par exemple son impact sur les relations interpersonnelles, les études, le travail ou les revenus, l’impact environnemental de son traitement, etc.). Les besoins médicaux ou thérapeutiques ne représentent donc qu’une facette parmi d’autres des besoins liés à la santé. Le cadre d’évaluation évalue les besoins non rencontrés liés à la santé dans leur contexte actuel, compte tenu de l’offre existante de soins et de services.
Quelques exemples de critères avec leurs indicateurs Critère : impact de la maladie sur la santé physique des patients Indicateurs :
Critère : impact sur l’éducation Indicateur : nombre d’années d’études perdues à cause de la maladie Critère : impact environnemental du traitement standard Indicateurs
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Un outil prometteur
En théorie, le cadre d’évaluation NEED est conçu pour l’évaluation des besoins non rencontrés associés à n’importe quel problème de santé. L’équipe de recherche l’a testé à titre expérimental sur deux pathologies, la maladie de Crohn (maladie inflammatoire chronique de l’intestin) et le mélanome malin (cancer de la peau). Une étude supplémentaire a confirmé qu’il peut également être utilisé dans le contexte particulier des maladies rares, à condition de prendre en compte certains points d’attention. L’expérience future permettra d’affiner l’outil avec le temps.
Cette belle initiative et la philosophie qui la sous-tend parviendront-elles à séduire tous les acteurs impliqués au niveau belge ou européen dans la politique de santé et l’innovation ? Le projet suscite en tout cas beaucoup d’enthousiasme, puisque 16 États-membres de l’Union européenne lui ont déjà exprimé leur soutien explicite. Le thème des besoins non rencontrés fera aussi l’objet, mi-avril, d’une conférence européenne organisée dans le cadre de la Présidence belge du Conseil de l’Union européenne. Reste à espérer que des moyens suffisants seront dégagés pour rendre possible des recherches scientifiques approfondies sur un maximum de pathologies.