Cela fait des années que les médias véhiculent l’idée en Europe que le Qatar est le porte-étendard de la confrérie des frères musulmans. Dans une ère de la post-vérité, cette affirmation gratuite est une pure « fake news », qui a servi bien des intérêts. Cet été, le site Mediapart désignait un ordonnateur et un exécuteur de cette affaire. Le site d’investigation rapportait que la société suisse Alp Services et son fondateur Mario Brero, avaient pu rassembler autour d’eux tout un réseau de journalistes, chercheurs et lobbyistes afin de soutenir et promouvoir dans les médias et l’opinion la fameuse théorie qui détruirait définitivement la réputation de l’ennemi juré : celle de « la conquête de l’Europe par les Frères musulmans avec le soutien de l’argent qatari».
Ainsi, ce réseau de l’ombre a diffusé des informations – sous de fausses identités sur Internet – dans le but de nuire à de supposés opposants aux Emirats, mais apparaît également derrière l’édition anglaise et arabe du livre Qatar Papers des journalistes Chesnot et Malbrunot. Ces révélations indiquent qu’un service de renseignement de haut rang d’Abu Dhabi a recours depuis plusieurs années aux services de Mario Brero qui lui a confié « troismandats importants pour un total de… 1 million d’euros ». Un autre contrat sera signé plus tard pour un montant de 1,2 million de francs suisses tous les six mois. En plus de publier des articles sous de fausses identités dans des journaux français, l’agence suisse aurait recruté un chercheur italo-américain, Lorenzo Vidino, directeur du programme sur l’extrémisme religieux à l’université George Washington, pour rédiger des rapports sur les Frères musulmans et leur influence supposée en Europe, ainsi que leur lien avec le Qatar. Mediapart a également fait état du recrutement du chercheur français, Roland Jacquard,qui revendique la paternité de l’ouvrage sur la loi de lutte contre les séparatismes en France et l’influencejouée sur le Ministre de l’intérieur et le Président français.
D’autres noms étaient cités en vrac par Mediapart dans ce groupe, dont Atmane Tazaghart, qui est un grand ami de Malbrunot et Chesnot, et qui a beaucoup aidé pour faire connaître leur livre. Le journal confirme avoir en effet contacté l’éditeur français, Michel Lafon, pour traduire le livre « Qatar Papers ». Mediapart ajoute que c’est Tazaghart qui a conclu avec l’éditeur, en juin 2019, un contrat d’achat des droits du livre pour publier ses traductions en arabe et en anglais. Le pire est que récemment, Malbrunot et Chesnot admettaient qu’ils savaient que la clé USB qui a servi à écrire le livre Qatars Papers comme les autres opérations de Tazaghart se faisait – selon eux – « probablement de l’argent des Emirats, voire de l’Arabie Saoudite ». D’autres opérations ont rapproché Tazaghart et Vidino comme la publication par la société de Tazaghart, Global Watch Analysis, du dernier livre de Vidino sur… les Frères musulmans.
L’affaire va même plus loin. Le deuxième volet des révélations de Mediapart sur les opérations d’influence des Emiratis du 7 juillet 2023 a montré leurs conséquences néfastes sur les citoyens français et sur les personnalités publiques de l’hexagone. D’anciens conseillers politiques français comme Hakim El Karoui, du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ou des hommes politiques ont été ciblés par des opérations d’Alp Services sur financement émirati… au nom de la lutte contre les Frères musulmans. Cette théorie du complot pourrait donc justifier tout et n’importe quoi, ce qui frise le ridicule. Ce « repérage » a été effectué en dehors de tout cadre légal précise Mediapart. Et beaucoup de noms n’ont rien à voir avec l’islam radical ou les Frères musulmans car on y trouve par exemple l’ancien candidat socialiste à la présidentielle Benoît Hamon et l’adjoint au maire de Marseille et ex-sénatrice Samia Ghali qui ont été cités dans le mapping réalisé par Alp Services.
Nous sommes au début d’une affaire plus vaste que cela, qui devrait voir d’autres révélations survenir prochainement. Depuis la médiatisation de l’affaire, Abu Dhabi a rompu son contrat avec l’entreprise suisse Alp Service.