Allocution inaugurale de M. Angel Gurría, Secrétaire général de l’OCDE, prononcée lors des Tables Rondes de l’Arbois
Aix-en-Provence, France, 10 avril 2013
(As prepared for delivery)
Mesdames et Messieurs:
Je me réjouis d’être ici, à Aix-en-Provence, pour donner le coup d’envoi des cinquièmes Tables Rondes de l’Arbois. Je tiens tout d’abord à remercier les organisateurs, et en particulier le Professeur Kirman et le Professeur Nahon, de m’avoir invité à cette manifestation importante. Pour la cinquième année consécutive, les Tables Rondes de l’Arbois offrent à d’éminents penseurs du monde entier un lieu idéal pour débattre des questions les plus urgentes de notre époque.
J’apprécie au plus haut point l’occasion qui m’est ici donnée d’échanger avec vous sur la crise actuelle. Cette crise constitue certes l’un des défis les plus exigeants que nous ayons à relever, mais elle nous ouvre aussi des perspectives inédites. Comme toutes les crises majeures, celle que nous traversons sonne l’avènement d’une réalité nouvelle. Il est de notre responsabilité de faire en sorte que cette réalité soit meilleure que celle que nous connaissions avant.
Il me semble, pour paraphraser l’écrivain mexicain Carlos Fuentes, qu’une catastrophe n’est plus catastrophique lorsqu’elle aboutit à une nouvelle donne qui la sauve, quelque chose qui la dépasse, et permet d’en tirer des éléments positifs. C’est avec cet espoir que l’OCDE doit affronter la crise actuelle, en la considérant comme un appel à agir !
Nous devons d’abord calibrer la dimension de cette crise.
De toute évidence, nous traversons la crise économique et financière la plus grave que nous ayons connue. La débâcle économique a été la conséquence naturelle d’une prise de risques énormes et d’un endettement insensés, de défaillances dans la réglementation et la supervision des systèmes financiers et d’un excès de confiance de la part des dirigeants. Tous ces facteurs cumulés ont entraîné des déséquilibres mondiaux massifs, une expansion du crédit excessivement imprudente et l’apparition de bulles des prix des actifs.
Nous étions engagés dans un parfait scénario de catastrophe et la catastrophe a eu lieu. Au-delà de l’affaiblissement des finances publiques dans plusieurs pays de l’OCDE et d’une situation financière très critique pour des millions de ménages et entreprises du secteur privé, la crise qui a débuté il y a maintenant cinq ans aura laissé de nombreuses traces, notamment un héritage social accablant.
Le bilan est lourd. Dans la zone de l’OCDE, le rapport endettement/PIB devrait atteindre 111 % en moyenne en 2013, soit environ 40 points de pourcentage de plus qu’avant la crise. Le chômage mondial devrait continuer à s’aggraver. Selon l’OIT, le nombre de chômeurs va augmenter de 5 millions en 2013 pour atteindre plus de 202 millions de personnes. Dans les pays de l’OCDE, presque 49 millions de personnes étaient au chômage en janvier 2013, soit 14 millions de plus qu’en juillet 2008.
En outre, la situation de la jeunesse n’a jamais été aussi dramatique. Dans le monde, plus de 75 millions de jeunes sont aujourd’hui à la recherche d’un travail. Dans les pays de l’OCDE, près de 8 millions de jeunes sont déscolarisés et sans emploi. Ce qui a commencé comme une crise financière est devenue une crise économique, qui s’est transformée en une crise sociale.
Des perspectives économiques qui s’améliorent, mais demeurent fragiles.
Heureusement, le printemps de 2013 a apporté quelques signes encourageants. Dans l’ensemble, les perspectives s’améliorent désormais pour les grandes économies. D’après notre dernière Évaluation économique intermédiaire, publiée le 28 mars, les États-Unis et le Japon devraient tous deux voir s’amorcer une reprise au premier semestre de 2013. Si en Europe, le redressement mettra plus de temps à se dessiner, la croissance en Allemagne devrait nettement reprendre de la vigueur au premier semestre de 2013.
Même à la périphérie de la zone euro, le rythme de la contraction devrait s’infléchir. Dans le même temps, la croissance dans les pays non membres de l’OCDE demeure soutenue.
Tous ces éléments témoignent certes d’une amélioration sensible, mais il n’y a assurément pas de quoi pavoiser. Ce qui vient de se produire à Chypre témoigne toutefois de la nécessité de travailler sans relâche à la construction de l’union bancaire et de consolider les fondements institutionnels de la zone euro. Au Japon, des mesures courageuses sont prises pour mettre fin à des années de déflation continue et aux États-Unis, la question du mur budgétaire a été largement, voire entièrement réglée.
Par ailleurs, les perspectives à moyen terme demeurent fragiles car la confiance est encore mal assurée et nos sociétés connaissent de graves difficultés. Ce constat a conduit certains à lancer des appels à « moins d’austérité”, mais comme il ne reste que peu de marge de manœuvre pour poursuivre une politique de soutien macroéconomique, la politique économique doit à présent se tourner du côté de l’offre.
À l’OCDE, nous sommes convaincus que la seule voie à suivre pour avancer, et la voie la plus intelligente, passe par la mise en œuvre de réformes structurelles judicieuses. Si elles sont bien conçues, les réformes peuvent en effet aider les pays à conforter la reprise et à générer de nouvelles sources de croissance.
Mais, à quel type de croissance aspirons-nous ?
Nous devons nous poser une question clé : à quel type de croissance aspirons-nous ? La croissance n’est toutefois pas une fin en soi, mais un outil au service d’un objectif : assurer une vie meilleure à l’ensemble des citoyens. C’est dans cette optique que l’OCDE s’efforce d’aider les pays à mettre en place une croissance plus forte, plus propre et plus juste.
Il nous faut instaurer une croissance plus robuste et plus résistante, alimentée par l’innovation et l’entrepreneuriat, et non par la spéculation et la surconsommation. De nombreux pays ont encore largement de quoi assouplir les réglementations restrictives qui entravent la concurrence sur les marchés de produits et freinent l’investissement. Dans d’autres pays, les graves lacunes des systèmes d’enseignement et de formation sapent la performance et ne permettent pas d’offrir aux entreprises les compétences dont elles ont besoin. Bien souvent, la réglementation a un rôle essentiel à jouer pour que les marchés financiers et le secteur bancaire soient davantage tenus de rendre des comptes. Si le programme de réformes à entreprendre dans ces domaines est vaste, il est aussi à la mesure des résultats que l’on peut en attendre.
La croissance dont nous avons besoin doit également être plus propre ; elle doit favoriser le développement économique et s’accompagner d’une utilisation intelligente des actifs naturels. C’est ce type de croissance que l’OCDE met en avant dans sa Stratégie pour une croissance verte. Son objectif est d’aider les gouvernements à changer de modèle économique en faisant des activités respectueuses de l’environnement les nouveaux moteurs de leur croissance ; à rediriger l’investissement sur des secteurs à bas carbone ; en prenant en compte les considérations écologiques dans leur participation aux chaînes de valeur mondiales ; et en concevant des réformes qui ne les rendent pas prisonniers d’énergies polluantes et peu efficaces.
Comme vous le savez très bien dans cette Technopole de l’environnement, la planète ne résistera pas le retour d’une croissance fondé sur les énergies polluantes. Il est temps de changer le métabolisme industriel de nos économies. Dans cet esprit, nous avons commencé à élaborer une série d’indicateurs destinés au suivi des progrès vers une croissance et une économie vertes. Nous avons également créé la Plateforme de connaissances sur la croissance verte (GGKP), afin de soutenir la recherche dans les nombreux domaines qui continuent de souffrir de déficits de connaissances et, avant tout, de promouvoir l’apprentissage mutuel et d’instaurer un partage plus efficace des pratiques optimales.
Enfin, la croissance doit également être plus équitable, créer des opportunités pour tous et permettre une répartition plus juste des fruits de la prospérité. Nous savons désormais avec certitude que les effets positifs de la croissance ne se diffusent pas automatiquement du haut en bas de l’échelle sociale : pendant les trois décennies qui ont précédé la crise actuelle, les écarts de revenus se sont creusés et les inégalités de revenus des ménages ont augmenté dans la plupart des pays de l’OCDE. Dans ces pays, le revenu moyen des 10 % les plus riches est aujourd’hui 9 fois supérieur à celui des 10 % les plus pauvres. Quant aux pays dans lesquels les inégalités se sont atténuées, comme le Chili et le Mexique, ils enregistrent tout de même un rapport de 27 à 1 ; au Brésil, le rapport est toujours de 50 à 1.
Le moment est venu de mettre en place des politiques économiques plus inclusives. La réforme des systèmes fiscaux peut permettre d’accroître à la fois l’équité et la croissance économique. Des politiques d’éducation ciblées, axées sur les compétences, sont également fondamentales pour promouvoir la cohésion sociale et bâtir un monde plus juste. Notre analyse montre que l’investissement dans les compétences est l’outil le plus puissant de la lutte contre les inégalités.
Les compétences sont devenues la ressource incontournable des économies du XXIe siècle. Pour aider les pays à faire des progrès dans ce domaine, l’OCDE a lancé une Stratégie sur les compétences et adapte ses recommandations aux besoins spécifiques de chaque pays et vise ainsi à aider les jeunes à acquérir les compétences requises sur le marché du travail.
Enfin, dans le cadre de nos efforts visant à promouvoir une croissance inclusive et durable, nous avons lancé une initiative ambitieuse et pluridimensionnelle intitulée « Nouvelles approches face aux défis économiques », ou NAEC (en anglais). Cette initiative consiste à tirer les leçons de la crise et à en dégager les conséquences pour l’action des pouvoirs publics.
L’objectif principal est d’enrichir nos grilles d’analyse, tout en redéfinissant notre programme d’action stratégique en faveur d’une croissance et d’un bien-être inclusifs. Les « Nouvelles approches face aux défis économiques » nous offrent la possibilité de mener une réflexion de fond dans une perspective plus systématique et plus transversale.
Mesdames et Messieurs,
Nous sommes les témoins d’évolutions mondiales surprenantes qui nous offrent une merveilleuse occasion d’aller vers un monde meilleur. Cette crise devait nous permettre d’entrer dans un nouvel ordre : un ordre dans lequel les économies émergentes et les pays en développement auraient davantage voix au chapitre, un ordre dans lequel la dégradation de l’environnement ferait place à la durabilité des ressources, un ordre dans lequel la logique de la déréglementation serait supplantée par une gouvernance financière digne de confiance renvoyant les banques à leur fonction initiale qui consiste à servir la société. En résumé, nous devons aborder une nouvelle ère où l’économie sera un instrument d’inclusion et de bien-être social.
Je suis sûr que nous pouvons prendre cette direction. Le choix ne dépend tout simplement que de nous et de notre capacité de repenser nos théories, nos concepts et nos politiques. Il suppose cependant en outre une coopération multilatérale plus ouverte et l’avènement d’une nouvelle dynamique insufflée par nos gouvernements et par nos sociétés. L’OCDE croit en ce changement et elle est prête à redoubler d’efforts pour collaborer avec d’autres institutions, et avec des interlocuteurs comme vous, afin qu’il devienne réalité.
Mesdames et Messieurs, je vous remercie de votre attention.
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