28 Août. 2021 – 18h00 7 min de lecture – par Nicolas Teterel.
Mise à jour le 01/09/2021 à 13h12
C’est fait. Le ministère de la Justice cubain a légalisé les paiements en bitcoin. Le document publié au journal officiel a même été paraphé par la présidente de la banque centrale, Marta Sabina Wilson Gonzalez.
Che Guevarra aurait été fier
Ernesto Guevara est surtout connu comme le guérillero marxiste. Peu savent qu’il fut un temps président de la banque centrale de Cuba. Le Che avait alors chassé toutes les banques américaines pour restaurer la souveraineté monétaire du pays.
Les 456 jours de Guevara à la tête de la banque ont commencé une soirée tardive de 1959. Lorsque Fidel Castro demanda qui dans la salle était un bon économiste, un Guevara à moitié endormi leva la main.
Castro répondit avec surprise : “Che, je ne savais pas que tu étais un bon économiste“, ce à quoi Guevara répondra : “Oh, je pensais que tu demandais un bon communiste !“
À partir de cet instant, le médecin argentin prend les rennes de la banque centrale et nationalise les succursales de National City Bank of New York (aujourd’hui Citigroup), de National Bank of Boston (maintenant Bank of America) et de JPMorgan.
En représailles, les États-Unis décréteront un embargo toujours en vigueur. C’est l’embargo le plus long de l’époque contemporaine. Pour comprendre comment les Cubains en sont arrivés là, il faut se plonger dans l’histoire de leur secteur bancaire.
La prise de contrôle de Cuba par les banques américaines
Jusqu’en 1914, le “Louis” français et le “Centen” espagnol (des pièces d’or) étaient utilisées pour le commerce local. Ce n’est que peu après le début de la première guerre mondiale qu’un peso adossé à l’or fut créé. Cette nouvelle monnaie circulait aux côtés du dollar américain, à parité fixe.
Il n’y avait pas encore de banque centrale à cette époque, seulement des banques privées qui se développèrent grâce au financement de l’industrie sucrière alors en plein essor. Mais il n’y avait pas que des banques cubaines. Des banques américaines participèrent également à cette ruée vers la canne à sucre.
Malheureusement, ces sucriers très endettés n’ont pas anticipé que la production européenne de betteraves finirait par se rétablir au sortir de la première guerre mondiale. C’est ce qui arrive en 1921. Le prix du sucre s’écroule. Les producteurs cubains font faillite et emportent les banques dans leur chute.
Les banques cubaines disparurent, mais pas leurs homologues américaines qui avaient les reins solides grâce à leurs sociétés parentes des États-Unis. Résultat, le système bancaire du pays tomba entre les mains de banquiers étrangers.
La création de la banque centrale cubaine
En 1940, le gouvernement cubain tenta de reprendre la main en se dotant d’une banque centrale calquée sur le modèle occidental. Chemin faisant, de nouvelles banques privées cubaines émergèrent, jusqu’à reprendre le contrôle de 60 % des dépôts dès 1956.
Puis arrive la révolution cubaine et la prise du pouvoir des guérilleros révolutionnaires qui finissent par s’inspirer de la Gosbank, la Banque d’État de l’URSS. La Gosbank fut l’unique banque des années trente jusqu’à 1987 dans toute l’union soviétique.
Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas tant ce coup monétaire qui plongera Cuba dans le chaos économique, mais l’embargo américain. Aucune île ne peut prétendre se hisser au niveau de développement des pays avancés sans importer un minimum de matières premières et de savoir-faires.
La Tierra Caliente a pu tenir grâce à une seule chose: le pétrole gratuit de son allié Vénézuélien. Caracas supporte son voisin caribéen depuis plusieurs décennies et paie d’ailleurs cher son soutien puisque Washington l’a aussi placé sous embargo… D’où l’hyperinflation qui a frappé le pays ces dernières années, conséquence directe de l’effondrement de ses exportations de pétrole.
Obama et Castro
Barack Obama et Raul Castro (petit frère de Fidel Castro) se sont serrés la main au palais de la Révolution de La Havane il y a 5 ans. Ce fut la première visite d’un président américain à Cuba depuis 88 ans. Une visite peu fructueuse puisque les États-Unis ont exigé que Cuba annule l’héritage de Che Guevara et revienne au sein de la Banque Mondiale et du FMI.
Une pilule dure à avaler si bien que les relations sont loin de s’être normalisées. Les tensions sont même revenues à leur paroxysme depuis que l’administration Biden a décidé de resserrer son étreinte en bloquant les 2 à 3 milliards $ que les expatriés envoient au pays chaque année.
La banque centrale cubaine a répliqué au mois de juin en annonçant la suspension des dépôts en dollars, citant les « obstacles que l’embargo américain crée pour le système bancaire national ».
José, un cubain travaillant à son compte, s’est montré excédé par cette décision:
« C’est chaotique ! Parce que cette mesure ne fait qu’augmenter l’inflation, franchement je ne sais pas comment ils prennent leur décision… Mais bon, ils disent aussi que c’est à cause des banques internationales qui n’acceptent plus les dollars déposés par Cuba. Mais au final, c’est nous le peuple qui en subissons les conséquences ! Est-ce que cette situation, c’est de notre faute à nous les Cubains, à moi ? Non, et pourtant, c’est moi qui subis l’inflation du marché noir parce que je ne peux pas acheter de devises autrement et j’en ai besoin pour aller dans les magasins en devises, parce que les magasins en peso cubain ne sont pas approvisionnés ! » (Source : Rfi)
Aujourd’hui, Cuba marche dans les pas du Salvador en incitant ses expatriés à envoyer de l’argent sous forme de bitcoin.
« La Banque Centrale de Cuba, pour des raisons d’intérêt socio-économique, peut autoriser l’utilisation de certains actifs virtuels dans des transactions commerciales et accorder des licences aux exchanges », peut-on lire dans le document du ministère de la Justice.
Bitcoin, la monnaie des nations injustement opprimées. Hasta la victoria siempre.
[Pour aller plus loin, voici une interview très récente d’un agent double cubain que les Etats-Unis ont essayé d’installer à la tête de Cuba depuis 15 ans]