Le 2 Octobre 2019.mise à jour le 5 janvier 2020 à 01h51
Les défenseurs des droits humains se mobilisent au Maroc pour faire abroger les lois criminalisant l’adultère et l’homosexualité et pour élargir le droit à l’avortement, alors que le Parlement examine une réforme du code pénal sans grand changement dans sa version actuelle.
La question des libertés individuelles a été au coeur d’un vaste débat ces dernières semaines du fait des démêlés judiciaires de la journaliste Hajar Raissouni.
Cette reporter de 28 ans a été condamnée mi-octobre à un an de prison pour « avortement illégal et sexe hors mariage » avant d’être graciée par le roi dans la foulée.
Né pendant l’affaire Raissouni, le collectif marocain des « hors-la-loi » a déposé la semaine dernière une pétition au Parlement, réclamant que « toutes les infractions pénales portant sur les libertés individuelles » soient retirées du code pénal.
Le collectif a également lancé une campagne sur les réseaux sociaux, intitulée « l’amour n’est pas un crime », pour recueillir les 5.000 signatures légales requises pour que la pétition soit discutée par les parlementaires.
Le Conseil national des droits humains (CNDH, un organisme officiel) a lui aussi adressé au Parlement un mémorandum plaidant pour le respect des libertés individuelles.
Ce texte demande également une dépénalisation des relations sexuelles, y compris homosexuelles, entre adultes consentants, et un élargissement du droit à l’avortement, non seulement dans le cas où la grossesse constitue un danger pour la vie de la mère, mais aussi en cas de menace pour « la santé mentale et sociale ».
– Loin des regards –
Human Rights Watch a salué des recommandations « novatrices » et « audacieuses », tandis que différentes associations marocaines ont exigé une abrogation de toutes les lois pénalisant les libertés individuelles.
Même si une certaine tolérance existe tant que tout se passe loin des regards, sans plainte ou dénonciation d’un tiers, les textes actuels punissent le sexe hors-mariage d’un mois à un an de prison, l’adultère et l’avortement illégal d’un à deux ans, l’homosexualité de six mois à trois ans.
En 2018, d’après les chiffres officiels, la justice marocaine a poursuivi 14.503 personnes pour « débauche », 3.048 pour adultère, 170 pour homosexualité et 73 pour avortement –sachant qu’entre 600 et 800 avortements clandestins sont pratiqués chaque jour au Maroc, selon des estimations.
Dans sa version actuelle, le projet de réforme du code pénal ne change rien sur la question des moeurs, hormis un léger assouplissement de l’interruption volontaire de grossesse, qui sera autorisée en cas de viol, d’inceste et de malformation du fœtus, si le texte est voté.
Même si la société civile se mobilise, la commission parlementaire chargée d’examiner le texte n’a, à ce stade, aucune intention d’ouvrir le débat sur les libertés individuelles, comme l’a indiqué à l’AFP son président Taoufik Mimouni. « La procédure ne le prévoit pas », a-t-il dit.
– « Référentiel islamique » –
Surtout, le Parti justice et développement (PJD, islamiste modéré), majoritaire au Parlement, n’a « aucune intention d’abroger » les lois visées, selon la parlementaire PJD Boutaina Karouri.
Il y a cependant un débat au sein du parti sur la possibilité de définir une « sphère privée » où les droits individuels seraient protégés, a-t-elle déclaré à l’AFP.
De façon générale, les conservateurs s’opposent à tout assouplissement sur les moeurs: selon eux, les lois visées, même si elles ne sont pas tirées de la charia, répondent aux valeurs traditionnelles dans un pays où l’islam est religion d’Etat.
Le chef du gouvernement Saad-Eddine El Othmani (PJD) a donné le ton début novembre en déclarant qu’il ne renoncerait pas au « référentiel islamique » du pays, au lendemain de la publication du mémorandum du CNDH.
Les autres partis politiques, aussi bien de la majorité que de l’opposition, ont jusqu’au 13 décembre pour présenter des amendements.
Actuellement, seule la Fédération de la gauche démocratique (FGD) a présenté des amendements en faveur des libertés individuelles.
« Notre rôle est de trouver des solutions. L’âge moyen du mariage au Maroc est de 28 ans, nous avons des milliers de jeunes non mariés, les envoyer en prison n’est pas la solution », a déclaré Omar Balafrej, l’un des deux députés de la FGD.
« Les couches défavorisées sont les plus vulnérables », soit parce qu’elles ne peuvent pas voyager à l’étranger pour avorter soit parce qu’il leur est plus difficile de trouver un refuge pour les amours illégales, a-t-il noté.
Les défenseurs des droits ont pour leur part dénoncé l’utilisation de ces lois sur les moeurs comme instrument de répression des voix critiques, prenant pour exemple l’arrestation de Hajar Raissouni. Cette journaliste a elle-même toujours dénoncé une affaire « politique ».
Source AFP /Orange.Fr