Dans un article publié hier, le quotidien espagnol El Mundorevient sur une affaire de détournement de fonds impliquant des responsables marocains, dont plusieurs personnes présentées comme des agents de la Direction générale des études et de la documentation (DGED, les services de renseignement extérieur marocains). La justice espagnole enquêterait sur ces personnes depuis 2015.
Les épouses en première ligne
Au cœur de cette affaire, un certain Nourredine Ziani, un homme décrit dans les archives du CNI (renseignement et contre-espionnage espagnol) comme “un danger” à la sécurité intérieure espagnole. En 1999, il créait, selon Le Desk, une association à caractère salafiste dans la localité de Vilanova del Camí située dans la région de Barcelone. Onze ans plus tard, Ziani participait à la création de l’Union des centres islamiques culturels de Catalogne (UCICC) qui jouera un rôle primordial dans le système de détournement pointé par El Mundo.
Officiellement, l’UCICC se charge de la coordination de 70 mosquées dans la région catalane. Pour remplir cette mission, l’Union reçoit, selon le quotidien espagnol, un soutien financier annuel de deux millions d’euros provenant du ministère marocain des Affaires islamiques. Mais le quotidien indique que cet argent a fini dans les comptes bancaires personnels de Ziani et de sa femme, Atiqa Bouhouria Meliani. Le couple appartiendrait, d’après El Mundo, à un réseau “aux nombreux tentacules” selon la publication. En 2013, Ziani est expulsé du territoire espagnol pour “promotion du salafisme”.
La même année, une agence de voyages nommée Aya Travel Tours ouvre ses portes à Mataro, à une trentaine de kilomètres de Barcelone. Trois femmes participent à l’enregistrement de cette entreprise au registre du commerce : Atiqa Bouhouria (l’épouse de Nourredine Ziani), Naima Lamalmi et Naziha El Montaser.
Selon El Mundo, les deux collaboratrices de Bouhouria sont liées à des responsables marocains. Ainsi Naima Lamalmi, serait l’épouse d’un certain Mohamed Belahrech que le quotidien espagnol présente comme “un responsable de la DGED chargé du contrôle des mosquées et des imams dans des pays comme l’Espagne et chargé de l’envoi d’agents à l’étranger”.
Selon la même source, Naziha El Montaser, une autre citoyenne marocaine, ne serait autre que l’épouse d’Abdellah Boussouf, secrétaire général du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME). El Mundoaffirme également que les trois époux des fondatrices d’Aya Travel Tours ont fondé une agence de tourisme à Rabat nommée Elysée Travels.
Selon les documents consultés par nos soins, l’entreprise a enregistré 21,6 millions de dirhams de chiffre d’affaires en 2017, et un résultat net de 4,1 millions de dirhams. Le registre du commerce indique que la société est détenue à parts égales par Nourredine Ziani, Mohamed Belahrech et Abdellah Boussouf qui en est l’administrateur.
Quand le 31 février figure au calendrier…
“Ce sont toutes des entreprises-écrans utilisées pour détourner et blanchir l’argent confié à l’UCICC par le ministère des Affaires religieuses”,affirme une source judiciaire espagnole citée par El Mundo. La même source indique que des “transferts ont été effectués entre les comptes en banque de Ziani, de son épouse et de l’agence Aya Travel. Une partie de la somme a ensuite été transférée vers l’agence de Rabat”. Selon le quotidien espagnol, des documents bancaires ainsi que d’autres, liés à l’UCICC, témoignent de ces virements.
Ce n’est qu’en 2015 que le pot aux roses aurait été découvert par l’intermédiaire de Mimon Jalich, qui a pris les commandes de l’UCICC suite au départ de Ziani. Ce dernier aurait effectué un audit des comptes et des activités de l’Union entre 2012 et 2015. La mission d’audit aurait alors révélé que l’utilisation de la quasi-totalité des sommes provenant du Maroc n’était pas conforme aux statuts de l’UCICC.
Cette information finira par remonter jusqu’aux magistrats de la cour d’Igualada (région de Barcelone) qui ouvrira à son tour une enquête sur cette pratique. “Ils (le couple Ziani, NDLR) vivaient comme des rois avec l’argent que le Maroc leur envoyait pour lutter contre le jihadisme”, affirme un employé de l’UCICC cité par El Mundo. Sur les comptes de l’association, des transferts quotidiens étaient effectués vers le compte des Ziani et pouvaient atteindre les 240.000 euros en l’espace de deux semaines sur la période 2011-2013, indique le quotidien madrilène.
“Ils n’ont quasiment rien pu justifier […]. Atiqa (Bouhouria, l’épouse de Ziani, NDLR) a présenté de faux reçus. Par exemple, elle a présenté un reçu pour un cours d’arabe qui aurait été dispensé le 31 février, un jour qui n’existe pas sur le calendrier”, témoigne l’employé de l’UCICC cité par El Mundo. Contactée par le quotidien, Marta Segura, l’avocate d’Atiqia Bouhouria, n’a pas souhaité s’exprimer sur l’affaire indiquant que le “processus judiciaire est en cours”.
“Nous avons recruté un expert pour tenter d’estimer le montant de ces détournements. Nous avons pu obtenir des autorisations pour avoir des informations sur des comptes ouverts chez Banco Popular, où étaient déposés 1,3 million d’euros et la Caixa. Mais Ziani et sa femme ont également ouvert des comptes chez ING et Deutsche Bank”, affirme la source judiciaire citée par El Mundo. “Ce sont des escrocs quoi ont cru qu’ils allaient s’en sortir en toute impunité. Si l’on commence à creuser, personne ne sait ce que l’on pourrait trouver”, estime pour sa part Mimon Jalich.
Sa signature aurait d’ailleurs été falsifiée sur un chèque de 49.000 euros à l’ordre de la mosquée de Sabadell. Une somme qui n’est jamais arrivée à son destinataire selon El Mundo. “Atiqa a tenté de justifier ces dépenses par l’organisation d’un congrès d’oulémas avec plusieurs reçus émis par Aya Travel dont le montant total dépasse 50.000 euros. Tous ces reçus ont été émis le même jour, un dimanche”. Du côté de l’UCICC, on accuse également le couple Ziani d’avoir créé d’autres structures pour blanchir de l’argent.
Pressions
En 2017, après le premier passage d’Atiqa Bouhouria devant la justice en Espagne, Mimon Jalich a reçu un appel d’un homme venant de Melilia répondant au nom de Mohammed Khalifa. “Les personnes du sud (Rabat, NDLR) sont inquiètes et veulent vous parler”, aurait déclaré cet interlocuteur à celui qui préside alors aux destinées de l’UCICC.
Accompagné d’un collaborateur, Jalich se rend à Rabat où il rencontre Mohamed Belahrech, l’un des trois fondateurs d’Elysée Travels. “Il faut que tout ceci (l’audit, NDLR) s’arrête. Je n’ai pas de temps pour ces absurdités. C’est une honte que vous entraîniez une femme (Atiqa Bouhouria, NDLR) devant la justice. Vous travaillez pour le CNI”, aurait déclaré Belahrech aux deux représentants de l’UCICC.
Quelques semaines après cette rencontre Mimon Jalich présente sa démission. “J’ai démissionné pour pouvoir poursuivre cette affaire qui est longue et coûteuse”, se défend l’intéressé à El Mundo.
Dans un communiqué diffusé suite à la publication de cet article, le président du CCME se dit “surpris de l’évocation de son secrétaire général (Abdellah Boussouf, NDLR) et d’un membre de sa famille” dans l’article d’El Mundo. L’institution indique également qu’elle “se réserve le droit d’assurer un suivi judiciaire à l’encontre dudit journal et de l’auteur de l’article, conformément aux dispositions légales”. La même source précise également que le secrétaire général du CCME a demandé “à l’agence de voyages mentionnée dans l’article de ne pas entretenir de relation commerciale avec le CCME qui n’a jamais eu recours à ses services”.
Source TELQUEL