Au Soudan, au douzième jour de fronde anti-gouvernementale, des centaines de manifestants sont retournés dans les rues de Khartoum ce lundi 31 décembre, après un week-end d’accalmie. Un groupe de la société civile avait appelé à marcher vers le palais présidentiel. Les forces anti-émeutes, policiers et soldats, ont alors été déployés dans la capitale et ont fait usage de gaz lacrymogène, selon des témoins sur place. Dimanche, le président Omar el-Béchir avait appelé les forces de l’ordre à ne pas recourir à une force excessive. Les associations de défense des droits de l’homme évoquent au moins 37 morts, depuis le début du mouvement, le 19 décembre.
Après la marche de vendredi dernier, les manifestants ont à nouveau tenté d’atteindre le palais présidentiel, ce lundi après-midi, mais ont été repoussés. En effet, la capitale soudanaise avait été placée sous haute surveillance dès les premières heures et selon plusieurs témoins, des soldats de l’armée étaient venus en renfort.
« La révolution est le choix du peuple », ont scandé les manifestants qui s’étaient rassemblés dans le centre-ville réclamant « liberté, paix et justice ».
La veille, le président el-Béchir avait appelé ses troupes à ne pas faire usage de force excessive. Pourtant, la police a tiré des gaz lacrymogènes pour disperser les manifestants qui tentaient de se regrouper et, selon certains témoins, elle aurait également tiré à balles réelles.
« A peine deux minutes après le début de notre marche, ils ont eu recours à la force pour nous disperser. Ils ont lancé des gaz lacrymogènes contre nous. Ça nous a surpris parce qu’habituellement ils attendent un peu, peut-être une quinzaine de minutes avant de nous disperser, mais pas aujourd’hui. Ils sont intervenus dès le départ. Après cela, ils ont commencé à tirer. Ils n’utilisaient pas des balles en caoutchouc, non. C’était des balles réelles. Alors que je marchais, j’ai vu un homme s’effondrer juste devant moi. Il saignait, il avait du sang partout. C’était terrifiant. Ils utilisent tous les moyens dont ils disposent pour nous faire peur. Ils n’ont aucune limite. Actuellement, nous nous sommes réfugiés chez un ami, car ils étaient en train d’arrêter les gens dans la rue. Apparemment, il y aurait beaucoup d’arrestations », dit cette manifestante, jointe par RFI.
Plusieurs petits cortèges ont tout de même réussi à marcher sur plusieurs artères de la ville. Des bus amenant des manifestants d’autres villes ont été empêchés de rejoindre le centre de Khartoum. Selon nos informations, il y a eu une dizaine de blessés et plusieurs dizaines d’arrestations.
« Nous n’avons pas peur », a répété la foule qui a l’intention de rester dans la rue toute la nuit, jusqu’au 1er janvier, jour symbolique au Soudan, car il marque l’anniversaire de l’indépendance.
Un mouvement fait « pour durer »
En cinq ans, le Soudan a connu cinq mouvements de contestation, mais ce dernier « est fait pour durer », assurent plusieurs responsables de l’opposition qui rejettent la responsabilité des évènements à l’incapacité du gouvernement à trouver une solution à la crise économique sévère que traverse le pays.
Ils demandent aux manifestants d’être patients et évoquent une forme de guerre d’usure qui s’est engagée contre le régime.
Au pouvoir depuis 1989, Omar el Béchir a été nommé candidat à la présidentielle de 2020 par son parti, le Congrès national.
Depuis le 19 décembre, la contestation à Khartoum monte progressivement à l’appel du Rassemblement de professionnels – l’équivalent des syndicats – qui représente plusieurs corps de métiers. Il avait appelé à une grève évolutive qui a commencé avec les médecins, suivie par les journalistes le lendemain. Ce lundi, c’était au tour des avocats, dont plusieurs ont été arrêtés à la manifestation de Khartoum.
« Fatiguer les forces de l’ordre en manifestant quotidiennement, c’est notre stratégie », indique une activiste alors que les différentes oppositions tiennent des réunions marathoniennes et tentent de se rassembler avec un seul but, celui de faire tomber le régime.
« Ces manifestations ne sont pas juste pour protester contre le prix du pain. Il n’y a pas d’argent dans les banques, pas d’essence dans les stations-service, rien. Il n’y a pas de transports publics, l’inflation est élevée, plus de 200%. Le prix des médicaments, par exemple, a augmenté de 50% ces derniers mois. Les gens n’ont même pas les moyens de se soigner. Mes amis, ma famille souffrent, comme toutes les familles soudanaises. Si vous n’avez pas quelqu’un à l’extérieur du pays qui peut vous soutenir financièrement, vous n’y arrivez pas, vous ne pourrez pas nourrir votre famille. Ces gens ont détruit le pays. Nous en avons assez de ce régime. Ce n’est pas qu’une question de pain ou de médicaments ; on veut du changement, des vrais changements. Nous voulons une vie meilleure, une vraie justice, une démocratie. Tout cela. Nous voulons un pays que les jeunes ne soient pas obligés de quitter pour aller chercher une vie meilleure », souligne cette manifestante.
Source RFI